Insoumis : les clés pour comprendre leurs mésententes

Insoumis de Guadeloupe

Difficile de se dire Insoumis et de se soumettre aux autres. Même à ceux de la même confrérie. Même au plus grand nombre. Les différents groupes se réclamant de La France insoumise (LFI) en Guadeloupe en font la démonstration à l’occasion de ces élections municipales et communautaires. Et pour cause ! Ils sont 100 % autonomes. Et puisque, tout le monde n’a pas la même ambition politique et personnelle sur son territoire respectif, alors les divergences éclatent au grand jour.
Créé par Jean-Luc Mélenchon, en février 2016, sur les bases du Parti de Gauche (PG), qui avait été lancé en 2009, LFI n’a jamais eu une organisation hiérarchisée et structurée comme un parti politique. Ainsi, chacun peut faire à sa guise. C’est une clé essentielle des tensions qui règnent dans les rangs des militants de Guadeloupe.

DEUX CLANS QUE TOUT OPPOSE

Christèle Roussel et Michel Tola - Insoumis de Guadeloupe
Christèle Roussel et Michel Tola, très actifs au sein des deux clans.

Les premières apparaissent à l’occasion des élections européennes de 2019. Les responsables nationaux de LFI devaient choisir entre deux femmes, postulantes pour être sur la liste menée par Manon Aubry. Le choix s’est porté sur Nadège Montout, pour figurer en 33e position (place inéligible) et surtout devenir la porte-parole du mouvement le temps de la campagne, au détriment de Céline Dechelette.
Forte de cette expérience, elle a saisi l’opportunité pour se présenter comme la représentante locale du mouvement. Une aubaine aussi pour les médias locaux, qui pouvaient enfin associer un visage au sigle LFI. Tout ce qu’il fallait pour irriter sa rivale. Depuis, deux clans ont vu le jour et tout les oppose, jusqu’à la couleur de leur épiderme.
Le premier est constitué autour de Nadège Montout, épaulée par le très actif Michel Tola, bien connu sur le territoire du Nord Grande-Terre. À leurs côtés, on trouve aussi Henriette Raccah, Yanetti Paisley, Roland Gendrey, Jean-Luc Nagau, Mathias Mixtur et Jordy Algou.
L’autre s’articule autour de Céline Dechelette, qui se présente comme la secrétaire départementale du PG et référente LFI. Elle est soutenue, entre autres, par Jean-Michel Aubrun et Christèle Roussel.

DEUX GROUPES À SAINTE-ROSE

A l’occasion des élections municipales et communautaires, les divergences latentes entre ces deux clans sont mises sur la place publique, au mois d’août 2019, lorsque Nadège Montout et les siens décident de soutenir la liste d’Hubert Quiaba, à Sainte-Rose. Refus catégorique de Céline Dechelette et ses partisans. Ils ne comprennent pas cette décision, alors qu’ils animent, sur le territoire, un groupe d’action certifié, donc officiellement reconnu par les leaders nationaux du mouvement. Alors, pour contrecarrer les velléités de sa rivale, Nadège Montout encourage à la création d’un autre groupe dans la même commune, avec comme animateur Jordy Algou. Ce dernier sera 7e sur la liste d’Hubert Quiaba au premier tour, le 15 mars 2020. Le premier tour a lieu. Les esprits se calment en surface. Nadège Montout, 36e (sur 45) sur la liste d’Éric Jalton, aux Abymes, réussit à se faire élire conseillère municipale, grâce au score exceptionnel de la liste du maire sortant. Avec Jean-Luc Céligny, qui était 17e, donc en position éligible, contrairement à sa camarade, ce sont là les deux premiers conseillers municipaux se réclamant de la France insoumise. De quoi la rendre fière, même si son élection est obtenue sur le fil.

QUI A LE DROIT DE SOUTENIR QUI ?

Les choses auraient pu en rester là. Mais ne voilà-t-il pas que Nadège Montout publie une liste de candidats soutenus pour ce second tour, reprise par l’ensemble des médias. Dans cette liste, le groupe Montout soutient Reb@tir ensemble Basse-Terre, comme au premier tour, mais ne se prononce pas sur l’alliance avec Sonia Petro et Brigitte Rodes. Jordy Algou reste aux côtés d’Hubert Quiaba, qui a rejoint la liste d’Henry Yacou, investi par Guadeloupe unie solidaire et responsable (GUSR), allié de La République en marche. Le groupe de Nadège Montout se garde bien de le soutenir. Cependant, Jordy Algou est positionné sur la liste, à la 27e place (sur 35). Une position difficilement éligible certes, mais tout de même…
Quoi qu’il en soit, la publication de cette liste fait bondir le groupe Dechelette, qui cite cette phrase extraite d’un communiqué du comité électoral LFI: « En Guadeloupe, La France insoumise ne soutient aucune liste au deuxième tour à l’exception de celles de Victor Urbain Arthein à Port-Louis et de George Hermin à Morne-à-l’Eau. »

DES FAILLES DE FONCTIONNEMENT

Ce message est appuyé par Christèle Roussel, qui affirme que « Guadeloupe insoumise n’est pas reconnue par le mouvement (LFI) et par le parti politique (Parti de Gauche) de Jean-Luc Mélenchon, représenté en Guadeloupe par Céline Dechelette, en tant que secrétaire départementale. Les statuts de LFI précisent également qu’il n’y a pas de porte-parole de LFI. Nadège Montout et ses « Insoumis de Guadeloupe » instrumentalisent et détournent le mouvement qui propose à la base un fonctionnement autre et très démocratique. Ce qui est à la fois sa qualité et son défaut car le mouvement comporte des failles de fonctionnement qui peuvent faire le jeu de personnes en quête de pouvoir et de reconnaissance… Les principes de ce mouvement qui se veut sans chef et sans porte-parole sont de fait parfois détournés. »

SYLVAIN SOUCHIT, LIBRE

A côtés de ces femmes — voire face à elle — on trouve des militants d’autres groupes qui ne se laissent pas faire non plus. On peut citer ceux de Basse-Terre et l’animateur du groupe d’action certifié de Capesterre Belle-Eau, Sylvain Souchit. Candidat en septième position sur la liste de Joël Beaugendre, historiquement de droite, il est mis au ban des pestiférés par le groupe de Nadège Montout, tout autant que par celui de Céline Dechelette. Pourtant, il a une explication à son choix : « Lorsqu’on peut faite une liste on la fait, sinon on se positionne sur les listes de rassemblement. C’est le principe de LFI. Depuis les élections européennes, Joël Beaugendre m’a apporté son soutien spontanément, alors que j’attends toujours les réponses d’autres leaders politiques de la commune que je suis allé voir. Quand j’ai rencontré le maire par la suite, il m’a toujours dit qu’il voulait faire un rassemblement sur Capesterre. C’est pour cela qu’on retrouve sur sa liste, des gens comme Freddy Beny (NDLR : représentant du collectif des usagers de l’eau de Capesterre Belle-Eau, à l’origine de plusieurs manifestations sur le pont d’Ilet Pérou). C’est ce qu’on appelle une liste citoyenne. »

CERTIFIÉ ET AUTHENTIQUE INSOUMIS

Et d’ajouter : « J’ai fait ma demande en respectant le processus électoral qui avait été défini, dès le premier tour, par La France insoumise. Le comité électoral a validé tous les groupes d’action certifiés. Il faut savoir que ces groupes sont autonomes. L’entité Guadeloupe insoumise n’existe pas. Nous avions l’objectif de rassembler tous les groupes d’action certifiés, mais ils ont chacun leur autonomie. On peut conseiller un groupe, mais on n’a pas à s’immiscer dans ses actions, dans la mesure où on ne connaît pas le territoire. »
Sylvain Souchit insiste sur le fait qu’il est bien un candidat de la France insoumise sur la liste de Joël Beaugendre, comme il a pu l’inscrire sur sa déclaration de candidature déposée à la préfecture. « C’est une liste ouverte de rassemblement qui comprend le noyau dur de l’équipe Beaugendre, mais aussi des personnes de la société civile et d’autres forces politiques dont La France insoumise que je représente à Capesterre Belle-Eau avec mon groupe d’action certifié. Il faudrait que tous ceux qui se disent qu’ils sont élus de La France insoumise montrent ce qu’ils ont inscrit sur leur déclaration à la préfecture. » Sous-entendu, il y aurait de vrais candidats LFI qui l’affichent et d’autres qui n’ont pas la capacité ou l’autorisation de le faire.

LE CAS DE BASSE-TERRE

Un autre communiqué de Céline Dechelette indique que « la France Insoumise ne soutient pas la liste conduite par André Atallah au second tour des élections municipales et communautaires de Basse-Terre. Si André Atallah avait bien reçu le soutien de LFI au premier tour, il est bien évident que l’alliance qu’il a conclue avec la droite représentée par Sonia Petro, présidente de la fédération Les Républicains, ne peut prétendre au soutien de notre mouvement qui s’oppose à de telles stratégies d’unions opposées. Cela témoigne du mépris et de l’absence de considération des citoyens. »
Sauf que le groupe des Insoumis de Basse-Terre a pris fait et cause pour le candidat socialiste et est même représenté sur sa liste.

LA RIPOSTE DU GROUPE DE BASSE-TERRE

Par conséquent, en réponse à cette attaque, le groupe de Basse-Terre apporte les précisions suivantes, qui vont dans le sens de ce qu’a développé Christèle Roussel plus avant : « La France insoumise est un mouvement dont le fonctionnement diffère sensiblement de celui d’un parti politique traditionnel. C’est peut-être (sans doute) regrettable, mais il n’y a pas de hiérarchie structurée. Les militants inscrits sur la plate-forme du mouvement appartiennent (s’ils le souhaitent) à des groupes d’action indépendants qui n’ont de compte à rendre qu’à la direction nationale du mouvement. Les groupes sont parfaitement autonomes : il n’y a pas d’organisation territoriale du mouvement. »
Et d’ajouter : « Les décisions communes, éventuellement prises par plusieurs groupes, ne s’imposent en rien aux autres groupes. Aucun groupe, aucun militant ne dispose de la légitimité pour parler ou agir au nom des autres. Aucun groupe, aucun militant n’est en droit de juger les actions des autres groupes. »

USURPATION DE PRÉROGATIVES ?

Le groupe basse-terrien va encore plus loin en indiquant que, « jusqu’à plus ample informé, il n’existe donc pas de référent ou de représentant France Insoumise habilité (par les instances nationales ou les militants sur place) à parler au nom des Insoumis en Guadeloupe. Chacun est en droit de s’exprimer, mais en son seul nom propre. Sa parole n’engage que lui même. »
Le groupe indique également que « les communiqués et déclarations publiés récemment par certains Insoumis (Nadège Montout et Céline Déchelette notamment) prétendant décréter l’orthodoxie stratégique ou politique de la France Insoumise en Guadeloupe n’ont aucune valeur. Au nom de quoi Mme Déchelette, a-t-elle décidé que le groupe des Insoumis de Basse-Terre ne doit pas faire alliance avec Reb@tir ensemble Basse-Terre ? A quel titre Mme Montout publie-t-elle un communiqué supposé définir les listes agréées par les Insoumis de Guadeloupe ? Qui a composé cette liste ? Quand a-t-elle été arrêtée et sur quels critères ? »

TOUT LE MONDE EST CHEF

En somme, aucun insoumis n’a rien à dire sur le choix d’un autre insoumis.
Nadège Montout n’a pas à critiquer la décision de Sylvain Souchit d’adhérer à la liste conduite par Joël Beaugendre.
Céline Dechelette n’a rien à dire sur la liste des candidats que le groupe de Nadège Montout soutient.
Nadège Montout et Céline Dechelette n’ont pas à se prononcer sur le choix du groupe de Basse-Terre de soutenir l’alliance réalisée par André Atallah avec Sonia Pétro et Brigitte Rodes, d’autant plus que cette liste d’union a été décidée entre Basse-Terriens, sans en référer aux états-majors du Parti socialiste et des Républicains.
Et il en sera ainsi, tant que le mouvement LFI ne sera pas un parti structuré avec une réelle organisation territoriale. Dans ces conditions, le communiqué du conseil électoral de LFI, présenté comme justificatif à la prise de position du clan Dechelette, ne pèse pas lourd. D’autant plus qu’il ne porte que sur 200 communes sur 4 779 en lice au second tour. Par ailleurs, il date du 3 juin 2020, alors que les groupes étaient encore en discussion pour finaliser leur alliance.

YOUNOUSS OMARJEE AVEC NADÈGE MONTOUT


Par conséquent, les Insoumis feraient mieux de remettre de l’ordre dans la maison et faire cesser ces crêpages de chignons, alors qu’il y a des échéances, autrement plus importantes à venir, avec les Législatives et la Présidentielle en 2022. Plus près de nous, dès 2021, il y a les Régionales où ils doivent envisager de faire une liste d’union avec d’autres forces de gauche comme le Cippa d’Alain Plaisir et le Parti communiste de Félix Flémin, déjà condamnés à s’entendre pour réussir à faire passer l’idée de large autonomie énergétique, fiscale et alimentaire, qu’ils n’ont de cesse de défendre.
Surtout qu’au plan national, le représentant Outre-mer ne semble pas tout maîtriser. Joint au téléphone, Younous Omarjee, référent Outre-mer au sein de LFI, membre de la direction nationale, dit apporter toute sa confiance à Nadège Montout, mais avoue ne pas connaître la situation sur le terrain.
« La seule chose que je peux vous dire, c’est que notre représentante est Nadège Montout. En tout cas, c’est la seule, avec qui je suis en contact et que je reconnais pour conduire le mouvement. Je ne connais pas les détails de ce qui se passe en Guadeloupe mais je fais confiance. On ne va pas entrer dans les subtilités de la vie politique dans tous les départements d’outre-mer. Je ne peux pas en dire davantage. »

AVANT, IL Y AVAIT GUILHEM SALTEL

Et dire que les militants du mouvement ont eu l’occasion de travailler ensemble et main dans la main. C’était d’abord pendant la campagne de l’élection présidentielle, en avril 2017 pour soutenir leur candidat, Jean-Luc Mélenchon. Leur belle campagne leur a donné une existence en Guadeloupe, classant leur favori deuxième avec 24,12% des suffrages, derrière Emmanuel Macron (30,22%). De quoi les encourager malgré l’élimination de leur favori, arrivé 4e au plan national. Ainsi, ils pouvaient envisager, dans la foulée, les législatives de juin 2017, en alignant un candidat dans chacune des quatre circonscriptions de l’archipel : Nadège Montout, dans la première, Michel Tola, dans la deuxième, Céline Dechelette, dans la troisième et Guilhem Saltel, dans la quatrième.
Ce dernier est un élément clé du dispositif de la France insoumise à l’époque. En sa qualité de secrétaire du Parti de Gauche, il avait été l’origine du lancement de LFI en Guadeloupe. Et puis, pour des raisons familiales, il dut retourner dans l’Hexagone. Il a rapidement repris son action militante à Bergerac, laissant la place libre pour porter la voix des Insoumis en Guadeloupe. Tout ce qu’il fallait pour créer des rivalités entre les plus ambitieux du mouvement.

1 Commentaire

  1. Il y a là une incohérence fondamentale qui est un vrai double discours : Paris ne connait qu’une porte parole et le dit, mais celle ci n a jamais organisé le mouvement local en réunissant les groupes certifiés, qui d’ailleurs ne doivent pas se rencontrer ensemble pour penser des solutions aux problèmes locaux…. ce n est pas un mouvement d’Insoumis, c est un problème Insoluble…

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